Pierre André, Nauti Plaisance :

Postée le 07/04/2023

Après 54 ans passées à la tête de Nauti Plaisance, Pierre André, figure emblématique du paysage ouistrehamais, vient de céder son entreprise de vente et maintenance nautique à la société Legrand Automobiles. Retour sur une carrière vouée à la mer.

Normandie Maritime : à quel âge as-tu débuté en tant que patron de Nauti Plaisance et dans quelles circonstances ?

PA : "j'ai commencé à 22 ans après avoir fait des études commerciales à l'École de Commerce de Rouen puis avoir travaillé pendant deux ans pour le chantier naval Postel à Courseulles-sur-Mer. Puis nous avons créé la société en octobre 1968".

NM : la cession de ton entreprise signifie-t-elle que tu raccroches définitivement les gants ?

PA : "je devais arrêter début avril mais le repreneur, monsieur Legrand, m'a demandé de continuer quelques semaines car ni les comptables, ni les avocats n'ont réussi à sortir le dossier comme c'était prévu. Je suis cependant très content d'avoir vendu au groupe Legrand car ce sont des gens bien, qui ont le respect du client et du personnel. La cession comprend les deux entités Nauti Plaisance et Distrimer, et prévoit la reprise de tout le personnel. Je ne voulais pas vendre à n'importe qui. L'affaire a débuté sur une boutade. Un des amis de monsieur Legrand qui possède un bateau à Deauville est venu me voir et m'a demandé si j'étais à vendre en plaisantant. Je lui ai répondu que non mais au fil de la discussion, la vente a fini par se concrétiser".

"Si j'avais suivi la lignée familiale, je me serais retrouvé marchand d'engins agricole"

NM : as-tu fait de ta passion pour la mer ton métier afin ne pas avoir à travailler un seul jour de ta vie ?

PA : "tout-à-fait. Mon père était un important concessionnaire de tracteurs à Caen et si j'avais suivi la lignée familiale, je me serais retrouvé marchand d'engins agricole. Mais mon père avait également un voilier de dix mètres à Courseulles et aussi bien mon frère que moi-même avons attrapé la passion de la mer en naviguant à son bord. C'était un très beau bateau en bois".

NM : quel est ta plus grande satisfaction professionnelle avec Nauti Plaisance ?

PA : "je suis content d'avoir mené cette société pendant 54 ans d'un travail prenant, physiquement ou familialement. Elle représente aujourd'hui 5 millions d'euros de chiffres d'affaires et près d'une dizaine de salariés. Je suis également satisfait que la société soit reprise par quelqu'un qui est très correct avec son personnel, et qui a commencé comme moi au bas de l'échelle. Il tient à conserver le nom de Nauti Plaisance et c'est important. Je ne voulais pas de quelqu'un qui change le nom de l'entreprise. Je voulais qu'elle m'accompagne dans ma tombe et pouvoir me dire : c'est lui qui a créé Nauti Plaisance !"

"Aujourd'hui, personne ne veut plus prendre de risque"

NM : quel est ton plus grand regret ?

PA : "de n'avoir pas eu dans ma famille quelqu'un capable de reprendre la société. Aujourd'hui, personne ne veut plus prendre de risque car comme dans tous les commerces actuellement, il y a des risques. Il faut donner des cautions, des garanties, et plus personne n'y est prêt. Et puis je quitte un bébé de 54 ans ! Ça fait des nœuds dans le ventre, c'est dur. Il fallait bien que ça arrive à 77 ans. Mais le repreneur m'a dit qu'il me gardait comme conseiller, c'est quelqu'un de très humain".

NM : comment décrirais-tu le milieu nautique ouistrehamais et les personnes qui le compose ?

PA : "le site et le milieu sont idéals tant au niveau de la clientèle en grande partie parisienne que des marques représentées par mes collègues, toujours très sympathiques. J'ai toujours vu une entente cordiale ici. Nous avons entrepris bon nombre de choses, comme des concours de pêche. Nous avons lors d'un de ces fameux concours pêché 800 kilos de poissons que nous avons vendu avec l'autorisation des Affaires Maritimes au mareyeur du coin. Le produit de la vente est revenu ensuite à la SNSM locale. Il y avait une animation dans le port que Stéphane Bradic, le maître de port de Ouistreham, essaie de faire revivre à travers l'association Pêche Plaisance".

NM : quel est ton souvenir le plus marquant à la tête de Nauti Plaisance ?

PA : "j'ai participé à la création de la marque Cap Camarat de Jeanneau, une gamme qui compte maintenant 40 ans d'existence. J'ai vendu les tout premiers, et j'ai réalisé des essais, avec l'architecte Robert Rigaudeau, avec qui je suis resté très ami jusqu'à sa disparition. Mais le souvenir qui m'a le plus marqué est ma participation avec Jeanneau en tant que responsable de l'assistance route du raid Niamey-Bamako en 1985, une remontée du fleuve Niger de 2000 kilomètres, organisé par Thierry Sabine".

NM : et le plus cuisant ?

PA : "j'ai fait ensuite d'autres courses pour Jeanneau comme le Cap d'Argent, entre Arcachon et Cap-Breton. C'est là où j'ai perdu mes dents, où je me suis cassé cinq côtes !"

"En commandant un bateau actuellement, il y a un an et demi de délai"

NM : quel regard portes-tu sur le nautisme actuel ?

PA : "depuis cinq ans, j'ai énormément de mal avec les fournisseurs. Est-il normal que sur les neuf bateaux vendus au salon nautique de Paris, dont deux voiliers et un gros bateau à moteur, nous ne les ayons qu'en septembre pour le motor-boat et en 2024 pour les voiliers ! En commandant un bateau actuellement, il y a un an et demi de délai. Un autre évènement m'a déçu énormément, la guerre en Ukraine. J'avais pris là-bas une marque de semi-rigide, Brig, avec laquelle ça marchait super bien. Malheureusement, les bateaux étaient fabriqués à Kharkiv, dans l'Est de l'Ukraine. J'avais eu l'occasion de visiter le chantier. Ils sont super doués en termes industriels. Tout est interrompu aujourd'hui".

NM : Quelle va être la suite pour toi ?

PA : "ma passion pour la mer reste intacte. Je vais naviguer sur un gros semi-rigide de sept mètres et 200 chevaux que je tire derrière ma voiture et avec lequel je vais me balader aux Anglo-normandes et un peu partout. J'ai aussi des amis qui ont des beaux bateaux ici et qui m'ont proposé de les prendre quand je voulais. Un ami de toujours à qui j'ai vendu récemment un Rhéa m'a même dit qu'il allait me faire un double des clefs. Il y a aussi ce projet vintage de l'ancien directeur de chez Jeanneau qui collecte tous les vieux bateaux de la marque pour les exposer dans un hall. Comme je suis maniaque et que je garde tout, on m'a demandé d'être conseiller".

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