EMR - Le scénario fou d'une alliance entre EDF et TotalEnergies dans la Manche
Les Echos – 5 octobre 2025
[…] La victoire de TotalEnergies face à EDF pour la construction du plus grand parc éolien en mer français, baptisé Centre Manche 2, redistribue les cartes dans la filière offshore. D'une capacité théorique de 1 500 MW, soit l'équivalent du réacteur EPR de Flamanville, ce projet estimé à 4,5 milliards d'euros pourrait paradoxalement réunir les deux rivaux historiques. Selon plusieurs sources citées par Les Échos, « une alliance entre le vainqueur et le battu n'est pas exclue ».
Le groupe pétrolier cherche en effet un nouveau partenaire après le retrait de l'Allemand RWE, désengagé du marché français de l'éolien offshore. « Pour TotalEnergies, EDF est un partenaire naturel », déclare un porte-parole, tandis qu'un proche du dossier confirme que « des discussions à court terme entre les deux groupes sont évidentes ».
La perspective d'un rapprochement stratégique entre les deux géants français survient dans un contexte tendu. La décision du gouvernement Bayrou d'attribuer le projet à TotalEnergies, alors qu'EDF était arrivé en tête du classement de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), est interprétée comme un choix politique. L'exécutif aurait voulu « protéger les emplois de la filière » et « ouvrir le jeu » pour éviter un quasi-duopole EDF–Engie dans l'éolien marin.
Pour EDF, l'enjeu est double : limiter les pertes financières et sauver son projet voisin, Centre Manche 1, attribué à un tarif historiquement bas de 44,90 €/MWh, soit trois fois moins que les premiers parcs français. Avec la flambée des coûts — +30 à +40 % selon les professionnels — liée à l'inflation, à la hausse des taux et aux tensions sur les matières premières, l'équilibre économique du projet devient intenable. En comparaison, TotalEnergies a remporté Centre Manche 2 à 66 €/MWh. Une alliance permettrait à EDF de « moyenner à la hausse » le prix de vente de l'électricité.
EDF, toutefois, reste fragilisé par les retards accumulés sur ses autres parcs offshore : Courseulles-sur-Mer, décalé de trois ans et Dunkerque, repoussé à 2032. Ces retards nourrissent le scepticisme de son PDG, Bernard Fontana, pour qui l'éolien en mer n'est plus une priorité stratégique.
Le CSE d'EDF Power Solutions a d'ailleurs demandé à la direction d'introduire un recours contre la décision de l'État, dénonçant un risque pour l'emploi dans la branche offshore (200 à 300 salariés). « Le CSE demande à la direction d'EDF d'introduire un recours », confirme Laurent Smagghe, secrétaire CGT du comité social et économique.
Enfin, la question industrielle reste sensible. TotalEnergies mise sur une turbine de 21,5 MW développée par Siemens Gamesa, quand EDF n'excluait pas le recours à des modèles chinois, moins coûteux. En cas d'alliance, ce choix technologique pourrait devenir un point de friction majeur.
Si TotalEnergies ne parvient pas à trouver de partenaire, il pourrait assumer seul le financement du projet, s'offrant ainsi une entrée décisive sur le marché français de l'éolien en mer.